Le mois de Mars a été pour moi un nouvel apprentissage de la patience ; cette qualité essentielle pour teindre.  La notion du temps est toujours très relative en fonction de nos activités, nos vies bien remplies défilent à vive allure alors que si l’on prend le temps, que l’on s’absorbe dans une activité simple et répétitive, d’un coup le temps s’étire et peut même s’arrêter.

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Je suis partie début Mars pour passer 3 semaines au Maroc chez David Santandreu afin d’en apprendre plus sur les cuves à fermentation de pastel et aussi de sukumo (Persicaria Tinctoria).  Je savais que monter de telles cuves nécessitait un certain temps avant qu’elles ne s’activent et teignent, c’est pourquoi j’avais prévu de rester longtemps afin de bien voir toutes les étapes.

La cuve à fermentation a son propre rythme et  il faut le respecter, le secret c’est d’observer ce qui se passe au quotidien et puis d’intervenir parfois pour la rectifier ou la nourrir.

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Au troisième jour après mon arrivée, la cuve de sukumo que nous avions monté la veille était pleine de bulles, signe de fermentation et promesse d’une activation prochaine.  J’étais aux anges et je préparais déjà plein de shiboris que j’allais teindre dans cette cuve tant désirée ; du type de celle que j’aimerai monter chez moi dans les mois à venir.

Puis finalement c’est le pastel (également en fermentation) préparé à partir de coques qui s’est mis à teindre le premier…

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Comme j’étais là pour un temps long et avec la certitude que je verrai le sukumo produire du bleu à un moment donné j’ai commencé à teindre avec le pastel et là ce fût une très belle découverte.  J’ai adoré les teintes sur la bourrette de soie que j’avais amenée. Paradoxe amusant d’aller jusqu’au Maroc pour apprendre à aimer ce bleu du  Sud Ouest.

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Pendant ce temps là, le sukumo restait éteint, sans bulles, sans vie et très sombre.

Difficile de décrire l’ensemble des informations qu’il faut retenir car l’aspect, la couleur, la température, l’odeur, et tant d’autres choses peuvent indiquer l’état des indigos.

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Il était d’un vert très sombre, presque noir, il sentait le varech et au lieu de le laisser faire, nous avons commencé les traitements de choc. Chaque jour nous prenions son PH plusieurs fois par jour, nous lui avons donné tour à tour de la chaux, de la lessive de cendre, du son de blé, chacune de ses opérations ayant un but précis pour obtenir d’abord une bonne fermentation et puis une réduction du pigment d’indigo qu’il contenait.

Au bout de 15 jours de stage, les frontières se sont fermées.  Moi qui était plongée dans mes cuves où tout tournait autour de bulles bleues, j’ai eu du mal à comprendre ce qui se jouait dans le reste du monde.  Mon monde coloré me semblait un refuge de luxe, une tanière douce et protectrice.  Mais la réalité m’a rattrapée.

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Le 17 Mars je suis rentrée du Maroc via un vol de rapatriement, sans avoir pu terminer le stage ni voir le sukumo s’activer (et encore moins teindre).  Il y avait en moi une fêlure qui me disait que je ne pouvais pas rester, même si j’en avais très envie, de devais rentrer à l’atelier et poursuivre seule mon apprentissage et mes expérimentations.  Je suis rentrée pour m’enfermer chez moi, mais je n’arrive pas à teindre pour l’instant, mon envie est restée auprès de ce sukumo inachevé, depuis j’ai appris qu’il avait commencé à teindre près d’un mois après mon arrivée.

Nous n’avons qu’une maîtrise partielle du temps et des évènements naturels, il faut l’admettre la patience est souvent le meilleur choix.  En ces jours tourmentés, malgré les doutes pour mon activité à venir et la peur ambiante, je n’aspire qu’à me replonger dans le bleu.

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Quelques images des tissus que j’ai finalement teins dans une très jolie cuve au hénée et sirop de dates. Des portes s’ouvrent et d’autres se referment… mon envie reste intacte et mes choix plus que jamais guidés par mon coeur. Je reviendrai sans doute à essaouira.

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Je remercie David Santandreu pour le partage de ses connaissances et le temps passé ensemble. Je précise que  ce stage a été un apprentissage très complet pour moi et même sans activation du sukumo. Je suis aujourd’hui prête à monter une cuve chez moi dans l’avenir, car on apprend plus des erreurs que des réussites trop faciles, c’est bien connu. En teinture c’est l’apprentissage de la patience et du temps long qui prime sur tout le reste.  J’ai eu le plaisir de reconnaître chez David les mêmes valeurs que celle qui sont les miennes et que je souhaite à mon tour transmettre.  Ma pratique va forcément évoluer suite à ce stage, tout en poursuivant la  recherche qui est la mienne, et en celà ce temps  a été très fructueux.